Outre son rôle majeur en tant que ministre des Affaires étrangères dans l’adoption de la résolution 573 du Conseil de sécurité de l’ONU du 4 octobre 1985 (la seule condamnation onusienne contre Israël-Ndlr), suite au bombardement du QG de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) à Hammam Chott; depuis sa prise de fonction au Palais de Carthage, le 31 décembre 2014, et tel un vieux briscard, le président de la République feu Béji Caïd Essebsi a oeuvré pour remettre les pendules de la diplomatie tunisienne à l’heure en dépoussiérant le principe de la « neutralité positive » si cher à son maître, le président Habib Bourguiba.
“Auprès des politiciens, les finesses de l’étiquette, les subtilités de la diplomatie comptent moins que le succès.”, disait l’écrivain canadien Robert Charbonneau.
Avec sa légendaire roublardise et la subtilité de son art oratoire, le président de la République feu Béji Caïd Essebsi incarnait à lui seul l’image d’une diplomatie qui gagne et convainc.
Bien avant son élection à la tête de l’État tunisien, Maître Caid Essebsi avait été pendant plus de 5 ans, ministre des Affaires étrangères sous les gouvernements Mohamed Mzali et Rachid Sfar entre 1981 et 1985.
Bon disciple de la politique bourguibienne et très attaché au principe de la « neutralité positive », le disciple du « Combattant Suprême » est l’un des artisans pour ne pas dire le fer de lance du seul succès diplomatique des pays arabe face à l’ogre américain et son protégé, l’occupant israélien, au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU).
Tout le monde se souvient de l’ « Opération jambe de bois », un certain 1er octobre 1985, quand des avions de chasse de l’entité sioniste bombardèrent le quartier général de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), situé à Hammam Chott, depuis son déplacement du Liban en 1982 suite à l’invasion de Tashal (l’armée israélienne).
Bilan de cet acte de terrorisme d’État voyou: 68 morts — 50 Palestiniens et 18 Tunisiens —, dont de nombreux civils, et plus d’une centaine de blessés ainsi que plusieurs millions de dinars de dégâts matériels (estimés 5.432.125 dinars tunisiens, selon les chiffres de l’époque).
Camouflet pour Netanyahu et Israël au Conseil de sécurité de l’ONU
Devant une telle agression contre « la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Tunisie », Tunis saisit le Conseil de sécurité le même jour et porte plainte contre Israël.
Sauf qu’en 1985, avec un Ronald Reagan aux commandes, partir en guerre contre l’entité sioniste n’était pas une partie gagnée à l’avance surtout avec la partialité de Washington dans le conflit israélo-palestinien.
D’ailleurs, la première réaction de l’administration Reagan fut de qualifier le raid israélien mené sur le siège de l’OLP de “réponse légitime au terrorisme”. Surpris par la réaction américaine, Habib Bourguiba convoqua illico presto l’ambassadeur des Etats-Unis en Tunisie pour faire miroiter la menace d’une rupture des relations diplomatiques entre les deux pays si Washington opposait son veto à la résolution des Nations unies sur l’attaque.
Composé, à l’époque, des cinq membres permanents, à savoir les États-Unis, l’ex-URSS, le Royaume-Uni, la France, la Chine, la France et 10 membres non-permanents, à savoir l’Australie, Burkina-Faso, le Danemark, l’Égypte, l’Inde, le Madagascar, la Thaïlande, la République de Trinité-et-Tobago, l’Ukraine et le Pérou, la bataille du chef de la diplomatie tunisienne, feu Béji Caïd Essebsi au Conseil de sécurité s’annonçait difficile pour ne pas dire quasi impossible.
Après un marathon de trois éprouvantes séances, les 2 et 3 octobre, le round final du 04 octobre, qui dura 04h25, opposa feu Béji Caid Essebsi, ministre tunisien des Affaires étrangères à Benyamin Netanyahu (actuel Premier ministre de l’État hébreu), alors représentant permanent d’Israël auprès de l’ONU, au sujet d’une résolution présentée alors devant le Conseil par l’Égypte, le Burkina Faso, l’Inde, Madagascar, le Pérou, et Trinité-et-Tobago.
On retiendra de l’argumentaire de M. Caïd Esssebsi ces deux magnifiques passages qui résument parfaitement ses aptitudes diplomatiques et son habileté à convaincre:
« Le peuple tunisien, blessé à la fois physiquement et moralement, a unanimement condamné cet acte criminel et exprimé son dégoût devant l’impunité dont jouissent ses auteurs. Cette unanimité remarquable est particulièrement manifeste dans la position sans équivoque de la communauté juive, qui fait partie intégrante de la communauté nationale. », a-t-il déclaré. « Voulant disposer de la puissance militaire, mon pays a toujours cru que sa force provenait de la force des principes de droit et de justice que les puissants de ce monde sont censés défendre. Nous nous risquons à le croire encore et aimerions pouvoir le croire pour toujours. », a ajouté feu Béji Caïd Essebsi.
Si le texte tunisien a été largement remanié, sous la pression de Washington afin de limiter les dégâts et sauver la face des « Yankees », la résolution 573 du 4 octobre 1985 fut adoptée avec 14 voix pour et une abstention, celle des États-Unis, et condamna l’attaque israélienne sur le territoire tunisien comme une violation flagrante de la Charte des Nations unies et accorda à la République tunisienne le droit de demander des réparations. Une victoire de la diplomatie tunisienne qui restera dans les annales comme le seul succès diplomatique d’un pays arabe contre Israël et son protecteur, le pays de l’Oncle Sam.
Redorer le blason de la « neutralité positive »
Certes, cette résolution onusienne demeure l’exploit phare de feu Béji Caïd Essebsi à la tête du ministère des Affaires étrangères, mais pour plusieurs observateurs et analystes, son impact sur la diplomatie tunisienne en tant que chef d’État surtout après la prise de position de son prédécesseur, le président provisoire, Moncef Marzouki dans les conflits libyen et syrien, notamment la rupture des relations diplomatiques avec Damas, suite à l’organisation de la Conférence internationale des amis du peuple syrien, dans la banlieue nord de Tunis, à Gammarth, le 24 février 2012.
Dès sa prise de fonctions le 31 décembre 2014, le vieux briscard de Carthage a oeuvré pour remettre les pendules de la diplomatie tunisienne à l’heure et restaurer son image à l’échelle internationale et régionale en dépoussiérant le principe de la « neutralité positive » si cher à son maître, le leader Habib Bourguiba.
Petit à petit et tel un archéologue, le chef de l’État a su redonner à la diplomatie tunisienne ses lettres de noblesse et son éclat comme en témoignent ses participations au G7 à Taormine, en Italie, les 26 et 27 mai 2017 ou à la réunion du G20, à Hambourg, les 7 et 8 juillet, la même année voire ses rencontres diplomatiques ayant lieu au Conseil de l’Union européenne, à Bruxelles, le 11 mai 2017.
Ses nombreuses visites officielles ou d’État, notamment sa réception au bureau Ovale de la Maison-Blanche par le président américain Barack Obama, le jeudi 21 mai 2015.
D’ailleurs, lors de cette visite historique, pour la première fois le président des Etats-Unis a cosigné avec un chef d’Etat étranger — le président feu Béji Caïd Essebsi — un article d’opinion dans un journal américain, en l’occurrence, le Washington Post, et intitulé: « Helping Tunisia realize its democratic promise » (Veillons à ce que la démocratie porte ses fruits).
Jusqu’à l’écriture de ces lignes, plusieurs chefs d’État et de gouvernement ont confirmé leur présence aux obsèques du président de la République, feu Béji Caïd Essebsi, prévues aujourd’hui, dont le cortège funèbre partira du Palais de Carthage à 11h00 du matin vers le cimetière d’El-Jellaz: Emmanuel Macron, président de la République française, Angela Merkel, Chancelière allemande, le Roi Abdallah II de Jordanie, l’Émir du Qatar, Cheikh Tamim, le Chef du gouvernement d’union nationale libyen, Fayez Al-Sarraj, le président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, ou encore le président du Portugal, Marcelo Rebelo de Sousa et Enrico Diaz secrétaire d’Etat du Portugal à l’internationalisation.
Parallèlement, sept pays arabes ont décrété un deuil de trois jours : la Jordanie, le Liban, la Palestine, l’Algérie, la Mauritanie et le gouvernement d’union nationale en Libye. Tout un symbole du poids diplomatique à l’échelle internationale et régionale du président de la Répubique, feu Béji Caïd Essebsi. Qu’il repose en paix et que la terre lui soit légère.